Par ou commence le passé?
Nous avons à plusieurs reprises déjà insisté sur l'efficacité thérapeutique du passage du symbolique au réel induit par la résolution d'un conflit. Pourtant, il arrive que la guérison ou le mieux-être passent par une voie qui va à l'encontre de ce principe fondamental. Parfois en effet, le matériel livré par les patients au cours de leur thérapie emprunte beaucoup à l'imaginaire ou aux symboles et ces derniers déclenchent au fil des séances un processus libérateur, transformateur, dynamisant. Si la chose n'a rien de nouveau, elle mérite cependant que nous nous y arrêtions car elle met en exergue le pouvoir que détiennent cet imaginaire et ces symboles. Cela nous ramène à souligner à nouveau combien culture et guérison sont étroitement liées.
Lorsque nous disons que la cause première de nos problèmes trouve son origine dans le passé, de quel passé parlons-nous ? Nous avons tous du passé une conception très personnelle. Pour certains, les thérapies régressives sont destinées à retrouver des événements traumatisants situés essentiellement dans la petite enfance. D'autres pensent qu'elles permettent un accès à un traumatisme fondamental qui serait celui de la naissance. D'autres encore défendent l'idée selon laquelle les traumatismes remonteraient à notre vie intra-utérine. Certains enfin considèrent que nous avons déjà vécu d'autres existences et que les régressions constituent l'outil roi pour accéder à nos vies antérieures.
Il ne m'appartient pas de dire que tel ou tel détient la vérité. Je voudrais seulement montrer combien le matériau livré par le patient au cours de ses régressions peut revêtir des formes très différentes. Il peut en effet être le récit fidèle de faits réellement vécus, ou bien la représentation symbolique de ces faits. Ainsi, en état d'hypnose, nous pouvons observer plusieurs cas de figure très différents.
1 - Le patient peut remonter jusqu'à l'événement traumatisant réel et le revivre, puis effectuer les connexions nécessaires une fois sorti de sa transe hypnotique.
2 - Son inconscient peut également inventer une histoire qui sera la représentation symbolique de l'événement traumatisant réel. Sorti de sa transe, il effectuera alors des connexions sur la base de l'histoire symbolique (en sachant pertinemment qu'il s'agit d'une histoire symbolique).
3 - Au contraire, le patient peut être persuadé qu'il a réellement vécu dans son passé l'événement en question (qui ne sera en fait qu'un récit symbolique). C'est dans cette catégorie que l'on trouve le fameux syndrome des faux souvenirs.
4 - Enfin, avec ou sans accord préalable avec le thérapeute, il arrive que les convictions de la personne l'orientent vers la reviviscence de tranches de vies constituant selon elle des existences antérieures. Dans cette hypothèse, le patient peut raconter l'événement traumatisant réel mais légèrement décalé sur le plan émotionnel puisqu'il prend du recul par rapport à la souffrance de par le fait que c'est à la fois lui mais pas vraiment lui qui souffre (c'est une autre vie). Il peut aussi raconter les événements à la troisième personne, prenant là encore du recul par rapport à la souffrance. Il peut enfin inventer de toutes pièces une histoire symbolique qui servira le but à atteindre, à savoir expliquer tel comportement et annuler par là-même la raison d'être de ce dernier.
Il m'a longtemps été difficile d'admettre la valeur thérapeutique d'une régression qui ne ferait pas s'exprimer des faits réellement vécus. On s'aperçoit pourtant que même l'expression d'une reconstitution symbolique délivre le patient de son problème. Ceux qui croient fermement aux vies antérieures voient là la plus belle preuve qui soit. Ceux qui n'y croient pas mais observent tout de même les résultats ne comprennent pas encore tout à fait comment un symbole peut supplanter avec des effets thérapeutiques indéniables un autre symbole. Les voies qu'emprunte l'être humain pour recouvrer sa santé et son harmonie sont à la fois surprenantes et merveilleuses. Elles imposent l'humilité et le respect des croyances de chaque être. Elles redonnent aussi au thérapeute sa juste place. Ni dieu ni gourou, celui-ci n'est qu'un guide. Il n'a pas à se substituer au patient dans l'interprétation des informations ramenées de l'inconscient. Il joue le rôle de l'accoucheur qui s'efforce de faciliter le travail de prise de conscience, avec patience, tolérance et amour.